DTR Fight : les influenceurs à l’honneur, la boxe aux oubliettes ?
Publié le 09-12-2024 à 16:04 par Tony Loumé.
Thème(s) : Combats d'influenceurs / France / Sport business
Mentionné(s) : Billy / DTR Fight / Greg MMA
Votre publicité
Nous contacter à contact@punchtime.fr
Le samedi 7 décembre 2024 avait lieu le DTR Fight, un gala de boxe anglaise composé uniquement d’influenceurs. Un évènement inédit en France, encadré par la Fédération Française de Boxe et dans les règles de la boxe amateur.
Depuis 2018, la boxe bénéficie – malgré elle – d’une toute nouvelle exposition médiatique grâce à un phénomène nouveau : les combats d’influenceurs.
Loin de faire l’unanimité chez les puristes du sport, ce nouveau phénomène séduit néanmoins des millions de fans et a grandement participé au rayonnement mondial de la boxe ces dernières années.
Les débuts du phénomène.
Lancé en début 2018 par les Youtubeurs britanniques KSI (16 millions d’abonnés) et Joe Weller (5 millions d’abonnés), le phénomène prend une ampleur mondiale lorsque le premier cité décide de défier le Youtubeur américain Logan Paul (23 millions d’abonnés) en août 2018. C’est le début du « YouTube Boxing ».
Le promoteur britannique Eddie Hearn (Matchroom Boxing) est le premier acteur du monde de la boxe à s’emparer du mouvement. En 2019 il organise lui-même le combat revanche des deux Youtubeurs, mais avec la particularité d’ajouter 3 championnats du monde à la soirée.
Son objectif : que cette tendance n’échappe pas à la boxe, mais au contraire, qu’elle soit un outil de promotion.
« Nous ne pouvons pas ignorer le nouveau monde dans lequel nous vivons. Les athlètes olympiques ne sont plus des modèles pour la jeune génération, les stars de YouTube le sont. Il faut faire face à cette réalité, s’en saisir et essayer de l’utiliser pour développer la boxe. »
Déclaration d’Eddie Hearn, en 2018.
Depuis, la tendance a évolué du simple combat de boxe entre deux influenceurs à des combats « crossovers » opposant des influenceurs à des combattants de MMA (ex: J. Paul vs Woodley en 2022) ou des influenceurs face à des boxeurs à la retraite (ex: L. Paul vs Mayweather en 2021 ou J. Paul vs Mike Tyson en 2024).
Mais une chose ne change pas, l’énorme succès médiatique et financier de ces combats : sur les 5 meilleures ventes de « pay-per-views » en 2021, deux impliquent la présence d’un influenceur en main event. Autre exemple plus récent, le combat entre Jake Paul et Mike Tyson, diffusé sur Netflix et regardé par plus de 65 millions de téléspectateurs à travers le monde.
L’arrivée en France.
Tendance de fond aux États-Unis et au Royaume-Uni, le phénomène des combats de boxe entre influenceurs se développe un peu partout dans le monde (Allemagne, Espagne, Moyen-Orient, etc.). Et la France n’y échappe pas.
Le 6 avril 2022, les influenceurs Benjamin Samat et Dylan Thiry s’affrontent devant plus de 6 000 personnes au Palais des Sports de Marseille. Le tout premier évènement du genre en France.
Organisée par l’homme d’affaires marseillais Cyril Assentio, la soirée reprend le modèle d’Eddie Hearn en proposant un combat phare entre deux influenceurs, mais précédé de « vrais » combats de boxe professionnelle.
Le DTR Fight.
Organisé par l’influenceur Twitch Billal « Billy » Hakkar, cet évènement reprend le modèle de la « Velada del Año » organisé chaque année depuis 2021 par le YouTubeur espagnol, Ibai Llanos. À savoir, un gala de boxe mais composé strictement d’influenceurs.
Lors du DTR Fight, ce sont au total 10 influenceurs qui montent sur le ring. Avec pour combat phare, l’affrontement entre Billy, l’organisateur de la soirée, et Gregory Bouchelaghem, mieux connu sous le nom de Greg MMA, influenceur et combattant de MMA.
Résultat, l’évènement est un véritable succès : l’enceinte du Paris La Défense Arena est rempli avec 35 000 personnes sur place et l’évènement – diffusé en direct sur Twitch – réuni jusqu’à 1,2 million de téléspectateurs.
Quel impact sur le développement de la boxe ?
Avec un impact médiatique aussi important et tellement supérieur à celui d’un gala de boxe classique en France, il est fort à parier qu’une grande partie du public regardait pour la première fois de la boxe anglaise.
Alors oui, le concept du DTR Fight ne propose aucun « vrai » boxeur ou « vrai » combat de boxe professionnelle. Et oui, ce nouveau public ne découvre pas le noble art de la manière la plus « qualitative ». Mais est-ce bien grave ?
Ce public, souvent très jeune, ne regarde pas ce genre d’évènement pour la boxe mais bien parce qu’ils sont fans des influenceurs. Or, ces jeunes fans ne sont pas initiés au noble art. À ce stade, ils ne font pas la différence entre ce qu’ils ont vu samedi soir et la boxe de haut niveau.
On peut donc légitimement penser que certains de ces jeunes, simplement fascinés par ce qu’ont fait leurs idoles des réseaux sociaux, décident de s’intéresser à la pratique de la boxe et plus tard à ses champions. Augmentant peu à peu le nombre de pratiquants, de licenciés et de fans de boxe en France.
En suivant ce raisonnement, ce genre d’évènements pourrait donc bel et bien devenir un véritable outil de promotion du noble art à long terme.
Et pour les plus septiques, rappelez-vous des films Rocky. Peut-on dire que les scènes de combat étaient des plus réalistes ? Pas vraiment quand on connaît la boxe. Et pourtant, le personnage fictif créé par Sylvester Stallone a peut-être autant, si ce n’est plus, contribué au développement de la boxe que Mohamed Ali ou Mike Tyson …
Finalement, la question n’est pas tant de savoir s’il faut cautionner ou non ces évènements. Ils sont déjà là. Mais plutôt de s’interroger : comment la boxe peut-elle profiter un maximum de cette nouvelle visibilité ? Car si à long terme cela créera de nouveaux fans, dans l’immédiat, cela n’apporte pas grand-chose aux boxeurs actuels, pourtant en grand manque de visibilité. N’est-ce pas ? Et bien, pas forcément.
En effet, le monde de la boxe peut choisir de rester spectateur de cette tendance et attendre quelques années pour en récupérer les effets positifs à long terme. Mais il peut aussi décider d’y prendre part et de bénéficier de cette nouvelle visibilité dès aujourd’hui.
Les boxeurs professionnels Bilel Jkitou et Khalil El Hadri en sont un bon exemple. Tous deux, ainsi que leur coach Aziz Hallab, ont su participer intelligemment à cet évènement en accompagnant l’influenceur Billy dans sa préparation. Les trois hommes composaient même le coin de l’influenceur lors du main event de la soirée. Un combat regardé par 1.2 million de personnes, on vous le rappelle …
Le coup de gueule : les grands médias sportifs.
Les deux plus grands médias sportifs français, L’Équipe et RMC Sport, étaient tous deux présents au Paris La Défense Arena pour couvrir le DTR Fight. Comme décrit plus haut, ce genre d’évènements représente une tendance mondiale et il est normal que la presse sportive s’y intéresse.
Mais le même soir, Yvan Mendy, l’un des meilleurs boxeurs français des 20 dernières années effectuait son dernier combat. Et deux des plus gros combats franco-français de l’année avaient également lieu dans le sud-est de la France. Pourtant, aucun de ces grands médias sportifs n’était présent pour en parler.
Idem il y a deux semaines pour la grande soirée du Zénith de Nantes avec David Papot et le combat entre Karim Guerfi et Terry Le Couviour, ou encore le championnat d’Europe de Jordy Weiss au mois d’octobre.
Alors certes, il est normal de couvrir un évènement aussi médiatique que le DTR Fight mais est-il normal que ce soit au détriment du sport de haut niveau ? Non.
Les médias sportifs ont aussi une responsabilité, celle de mettre en avant et de faire découvrir les champions français au plus grand nombre. Cela ne veut pas dire ne plus parler des sujets qui « buzz », mais la médiatisation du sport de haut niveau devrait rester une priorité pour eux.